L’écrivain suédois Björn Larsson s’était emparé, dans les années 90,
d’un personnage de L’île au trésor,
le célèbre roman d’aventures de Robert Louis Stevenson. Long John Silver,
l’homme à la jambe de bois, aurait écrit ses mémoires lors de sa retraite à…
Madagascar ! On traduit aujourd’hui un supplément à ce texte : La dernière aventure de Long John Silver.
Rappelons, si on a un peu oublié L’île au trésor, qui est Long John Silver. Engagé comme cuisinier
sur l’Hispaniola, il se révèle
bientôt indispensable au recrutement de l’équipage et à la bonne marche du
navire. John Trelawney dit de lui : « John
Silver est un homme très sérieux. Je sais de source certaine qu’il a un compte
courant chez un banquier. Sa femme doit rester ici pour diriger sa taverne en
son absence. C’est une femme de couleur, et une paire de vieux célibataires
comme vous et moi peut aisément deviner que la femme, plus encore que la raison
de santé, le décide à reprendre la mer. » Il n’est pas seulement
sérieux : il possède aussi une autorité naturelle qui fait de lui une
véritable terreur. A la fin du roman, il disparaît : « On n’a plus entendu parler de Silver. Ce terrible marin à une
jambe ne joue plus aucun rôle dans ma vie. Je me plais à croire qu’il a
retrouvé sa vieille négresse et qu’il vit en paix dans quelque coin, avec elle
et son perroquet. »
Björn Larsson l’a donc retrouvé dans son refuge malgache où
il lui a offert un long récit apocryphe, mais vraisemblable par rapport aussi
bien à la fiction de Stevenson qu’à ce qu’on connaît des histoires véridiques
de pirates. On sait que ceux-ci ont beaucoup fréquenté les côtes de Madagascar
et l’île de Sainte-Marie. Long John Silver s’est installé à Ranter Bay,
autrement dit la baie d’Antongil. Il y mène une vie paisible et c’est donc là
qu’il a écrit (ou plutôt que Björn Larsson a imaginé qu’il avait écrit) Long John Silver : la relation
véridique et mouvementée de ma vie et de mes aventures d’homme libre, de
gentilhomme de fortune et d’ennemi de l’humanité. Un titre interminable,
comme on les aimait au dix-huitième siècle, c’est-à-dire à l’époque supposée de
sa vie.
Quand l’écrivain suédois a trouvé un éditeur pour ce livre,
il a dû couper un peu son gros manuscrit. Il en avait donc enlevé un épisode
qui, lui semblait-il, n’apportait pas grand-chose à l’ensemble. Mais qui,
repris pour en faire un récit détaché du grand bloc des mémoires, prend tout
son sens. Et joue habilement entre fiction et réalité.
Deux hommes à bout de force se présentent un jour chez Long
John Silver. Il leur sauve la vie sans enthousiasme : il n’aime pas ces
inconnus qui ne lui disent rien de bon. Il n’a pas tort de se méfier : son
visiteur principal, Charles Barrington, est un homme qui a échoué dans tout ce
qu’il a entrepris auparavant et qui est venu à Madagascar pour tenter de
refaire fortune dans le commerce des esclaves. Mal lui en prit : c’est un
nouvel échec, aux conséquences dramatiques puisqu’il va payer très cher son entreprise.
Il est vrai qu’il l’a bâtie sur des fondations très fragiles :
le journal que Robert Drury avait tenu lors de son séjour à Madagascar et que
Barrington tient pour un document authentique. Tandis que Long John Silver, qui
a rencontré Daniel Defoe, sait comment celui-ci l’a tiré de son imagination
fertile…
Barrington, homme cupide, ignore évidemment que Long John
Silver, dont la légende de cruauté court sur toutes les mers du globe, a depuis
longtemps oublié ce qu’est l’appétit de richesses. Il ignore encore davantage
que Jack, bras droit du pirate retraité, est un Malgache, fils de roi et ancien
esclave. Ce qui donne surtout aux deux hommes envie de faire subir à Barrington
ce qu’il voulait faire subir à la « marchandise » qu’il avait
l’espoir de trouver dans l’île. Les humiliations et les tortures que Jack a
vécues et dont il porte les marques dans sa chair.
L’ouvrage n’est pas long. Mais il repose sur un face à face
où la tension est constante. Où Björn Larsson renoue aussi les fils d’une
biographie imaginaire dont il donne quelques clés en postface. Il n’est pas
besoin d’avoir lu le livre précédent pour goûter celui-ci. Et le plaisir de
retrouver quelques lieux, malgré les libertés que prend le romancier avec la
réalité, est intense.
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