11 mai 2014

Long John Silver, dernière aventure malgache

L’écrivain suédois Björn Larsson s’était emparé, dans les années 90, d’un personnage de L’île au trésor, le célèbre roman d’aventures de Robert Louis Stevenson. Long John Silver, l’homme à la jambe de bois, aurait écrit ses mémoires lors de sa retraite à… Madagascar ! On traduit aujourd’hui un supplément à ce texte : La dernière aventure de Long John Silver.
Rappelons, si on a un peu oublié L’île au trésor, qui est Long John Silver. Engagé comme cuisinier sur l’Hispaniola, il se révèle bientôt indispensable au recrutement de l’équipage et à la bonne marche du navire. John Trelawney dit de lui : « John Silver est un homme très sérieux. Je sais de source certaine qu’il a un compte courant chez un banquier. Sa femme doit rester ici pour diriger sa taverne en son absence. C’est une femme de couleur, et une paire de vieux célibataires comme vous et moi peut aisément deviner que la femme, plus encore que la raison de santé, le décide à reprendre la mer. » Il n’est pas seulement sérieux : il possède aussi une autorité naturelle qui fait de lui une véritable terreur. A la fin du roman, il disparaît : « On n’a plus entendu parler de Silver. Ce terrible marin à une jambe ne joue plus aucun rôle dans ma vie. Je me plais à croire qu’il a retrouvé sa vieille négresse et qu’il vit en paix dans quelque coin, avec elle et son perroquet. »
Björn Larsson l’a donc retrouvé dans son refuge malgache où il lui a offert un long récit apocryphe, mais vraisemblable par rapport aussi bien à la fiction de Stevenson qu’à ce qu’on connaît des histoires véridiques de pirates. On sait que ceux-ci ont beaucoup fréquenté les côtes de Madagascar et l’île de Sainte-Marie. Long John Silver s’est installé à Ranter Bay, autrement dit la baie d’Antongil. Il y mène une vie paisible et c’est donc là qu’il a écrit (ou plutôt que Björn Larsson a imaginé qu’il avait écrit) Long John Silver : la relation véridique et mouvementée de ma vie et de mes aventures d’homme libre, de gentilhomme de fortune et d’ennemi de l’humanité. Un titre interminable, comme on les aimait au dix-huitième siècle, c’est-à-dire à l’époque supposée de sa vie.
Quand l’écrivain suédois a trouvé un éditeur pour ce livre, il a dû couper un peu son gros manuscrit. Il en avait donc enlevé un épisode qui, lui semblait-il, n’apportait pas grand-chose à l’ensemble. Mais qui, repris pour en faire un récit détaché du grand bloc des mémoires, prend tout son sens. Et joue habilement entre fiction et réalité.
Deux hommes à bout de force se présentent un jour chez Long John Silver. Il leur sauve la vie sans enthousiasme : il n’aime pas ces inconnus qui ne lui disent rien de bon. Il n’a pas tort de se méfier : son visiteur principal, Charles Barrington, est un homme qui a échoué dans tout ce qu’il a entrepris auparavant et qui est venu à Madagascar pour tenter de refaire fortune dans le commerce des esclaves. Mal lui en prit : c’est un nouvel échec, aux conséquences dramatiques puisqu’il va payer très cher son entreprise.
Il est vrai qu’il l’a bâtie sur des fondations très fragiles : le journal que Robert Drury avait tenu lors de son séjour à Madagascar et que Barrington tient pour un document authentique. Tandis que Long John Silver, qui a rencontré Daniel Defoe, sait comment celui-ci l’a tiré de son imagination fertile…
Barrington, homme cupide, ignore évidemment que Long John Silver, dont la légende de cruauté court sur toutes les mers du globe, a depuis longtemps oublié ce qu’est l’appétit de richesses. Il ignore encore davantage que Jack, bras droit du pirate retraité, est un Malgache, fils de roi et ancien esclave. Ce qui donne surtout aux deux hommes envie de faire subir à Barrington ce qu’il voulait faire subir à la « marchandise » qu’il avait l’espoir de trouver dans l’île. Les humiliations et les tortures que Jack a vécues et dont il porte les marques dans sa chair.
L’ouvrage n’est pas long. Mais il repose sur un face à face où la tension est constante. Où Björn Larsson renoue aussi les fils d’une biographie imaginaire dont il donne quelques clés en postface. Il n’est pas besoin d’avoir lu le livre précédent pour goûter celui-ci. Et le plaisir de retrouver quelques lieux, malgré les libertés que prend le romancier avec la réalité, est intense.

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