(Suite.)
Mais une ramatoa ne cède
point ainsi ; il faut se refuser avec des yeux câlins et une voix douce,
se dérober avec souplesse et rire en se moquant. La petite ramatoa n’a garde
d’y manquer ; tout son chagrin s’efface en un instant ; elle oublie
le lieu de son exil, le mal terrible, les monstres qui gîtent dans la nuit.
Elle n’est plus qu’une coquette qui veut plaire, une femme prête à l’Amour,
inscrivant le monde dans l’orbe de son désir. Cependant il la saisit et
l’enlace, l’entraînant loin de la case et de l’espace blanchi par la lune. Sous
l’ombre du bosquet, l’indiscrète lueur argentée ne se posera point sur leurs
visages, ne révélera pas leur bonheur ignoré de tous les malheureux qui les
entourent. Elle appuie sa joue, qui sent les larmes et le mimosa, contre
l’épaule du jeune homme. Elle est une petite fleur au royaume des herbes folles
et elle va être cueillie. Ainsi l’amour fleurit sur la mort.
La petite ramatoa ne connaît
point les mythes divins, ni même la voix qui murmure au fil de l’eau, parmi les
feuilles captives, aux vents du ciel, au rythme du cœur. Elle obéit à la terre,
à l’odeur des orangers, au désir de la joie. Et l’adolescent demi-nu, à peine
touché par le mal, suit l’instinct dominateur qui condamne l’homme à donner la
vie. Le monde se pare, à leurs yeux éblouis, qui voient la triste vallée se
transformer en un jardin enchanté où fleurit la rose merveilleuse. Désormais
ils possèdent le bonheur, et le parfum des orangers monte ainsi que le cantique
de la Sulamite dans la douceur de l’air du soir.
*
La langue hova est
précise, sans ailes, sans rêves ; le mot « mélancolie » n’y est
point exprimé. Cet oubli, que les civilisés demandent à l’alcool, le peuple
primitif le trouve dans l’amour, non dans ces grands sentiments plus hauts que
la vie, mais à chaque heure joyeuse cueillie sur le chemin des jours. Le Hova a
aussi le goût des longues histoires, des paysages et des fleurs ; il sait
en voir la beauté, dont les travailleurs d’Europe ont perdu le sens. Ceux que
la main de fer de la nécessité courbe sur le sol ou sur des machines ignorent à
présent la splendeur du monde : ils possèdent peut-être la
mélancolie !
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France
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