(Suite.)
L’ombre de la mort verse
sa cendre sur le bonheur des deux amants et cette tristesse les enchaîne l’un à
l’autre. Ils ne demandent rien à l’inconnu : la possession d’eux-mêmes
leur suffit. Le jour, ils demeurent parmi les êtres horribles, ils sont visités
par les blanches religieuses, ils reçoivent la ration de riz. Chaque soir les
réunit. Ils se contentent de menues histoires puériles : autour d’eux,
dans l’ombre, d’autres couples se forment et s’enlacent parmi les moins touchés
du Mal terrible.
Aujourd’hui, la mère de
la jeune fille est venue la voir, accompagnée d’un petit frère agile, aux yeux
vifs. Après s’être embrassées en se frottant la joue et en répandant quelques
larmes, les deux femmes ont parlé avec une volubilité qui s’est soutenue durant
plusieurs heures. La mère avait apporté des œufs, un régime de bananes, des
mangues à la chair rose et sucrée… Elle a donné des nouvelles de tous, gens et
bêtes, et narré les dernières médisances, puis elle a dit adieu et son
filanzane l’a emportée, le zazakelly assis sur ses genoux… La petite ramatoa
offre à l’amant quelques bananes apportées ce soir, et tandis qu’il épluche les
fruits excellents, elle dit : « On va donner un bal hova au palais du
gouverneur. Si je n’étais ici, j’y serais allée, car mon père écrit au vaovo[1]. J’aurais dansé avec les officiera et bu du vin
qui pétille… » Afin de la distraire de son regret, l’adolescent prie la
jeune fille de danser pour lui. Dans le bleu de la nuit, sous un clair rayon de
lune, la petite ramatoa en silence se met à frapper le sol d’un pas rythmé,
cependant que ses bras s’étendent et se replient ainsi que pour une incantation
magique. Elle s’enivre de son mouvement, elle voit, en ses yeux dilatés, le bal
plein de lumières et de fleurs où elle aurait été si jolie, et, soudain, elle
tourbillonne dans un pas de valse telle qu’un papillon fou dans la clarté, puis
un vertige la saisit et elle tombe, frissonnante, entre les bras de son amant.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France
[1] Journal rédigé en langue
hova et qui a de nombreux lecteurs indigènes.
L'intégrale en un livre numérique (un volume équivalant à 734 pages d'un ouvrage papier), disponible en deux endroits:
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