8 mai 2014

Il y a 100 ans : Dans la léproserie (8)

(Suite.)
L’ombre de la mort verse sa cendre sur le bonheur des deux amants et cette tristesse les enchaîne l’un à l’autre. Ils ne demandent rien à l’inconnu : la possession d’eux-mêmes leur suffit. Le jour, ils demeurent parmi les êtres horribles, ils sont visités par les blanches religieuses, ils reçoivent la ration de riz. Chaque soir les réunit. Ils se contentent de menues histoires puériles : autour d’eux, dans l’ombre, d’autres couples se forment et s’enlacent parmi les moins touchés du Mal terrible.
Aujourd’hui, la mère de la jeune fille est venue la voir, accompagnée d’un petit frère agile, aux yeux vifs. Après s’être embrassées en se frottant la joue et en répandant quelques larmes, les deux femmes ont parlé avec une volubilité qui s’est soutenue durant plusieurs heures. La mère avait apporté des œufs, un régime de bananes, des mangues à la chair rose et sucrée… Elle a donné des nouvelles de tous, gens et bêtes, et narré les dernières médisances, puis elle a dit adieu et son filanzane l’a emportée, le zazakelly assis sur ses genoux… La petite ramatoa offre à l’amant quelques bananes apportées ce soir, et tandis qu’il épluche les fruits excellents, elle dit : « On va donner un bal hova au palais du gouverneur. Si je n’étais ici, j’y serais allée, car mon père écrit au vaovo[1]. J’aurais dansé avec les officiera et bu du vin qui pétille… » Afin de la distraire de son regret, l’adolescent prie la jeune fille de danser pour lui. Dans le bleu de la nuit, sous un clair rayon de lune, la petite ramatoa en silence se met à frapper le sol d’un pas rythmé, cependant que ses bras s’étendent et se replient ainsi que pour une incantation magique. Elle s’enivre de son mouvement, elle voit, en ses yeux dilatés, le bal plein de lumières et de fleurs où elle aurait été si jolie, et, soudain, elle tourbillonne dans un pas de valse telle qu’un papillon fou dans la clarté, puis un vertige la saisit et elle tombe, frissonnante, entre les bras de son amant.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France



[1] Journal rédigé en langue hova et qui a de nombreux lecteurs indigènes.


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