(Suite.)
Elle pleure, mais elle
est si jeune que l’espérance affleure sur la coupe des larmes ainsi qu’un lotus
émerge des eaux profondes. Ne vient-elle pas de quitter sa mère et les petits
frères, des zazakellys[1] aux yeux vifs et ronds d’oiseaux jaseurs, les
gentils zazakellys choyés et aimés dans la famille ? La jeune fille a dit
adieu à la grande ville où elle ne reviendra plus jamais… Comment est donc née
cette tache livide aux grises auréoles qui rend morte la chair qu’elle envahit
et s’étend et gagne son côté ? Cet homme du Sud qui l’étreignit un soir
sous les arbres en fleur était peut-être le porteur du mal terrible ? Le
médecin, plus savant que l’ombiassy (sorcier), a ordonné qu’on la conduisît
là-bas, dans la triste cité. On l’a forcée à partir ; le médecin l’a
emmenée en pousse-pousse au trot mesuré des bourjanes. Elle regardait, le long
de la route, les rivières pleines de petits poissons, les touffes vertes du riz
que les femmes repiquent courbées sur l’eau azurée par le ciel bleu intense.
Elle voyait, en passant, la pierre frottée de graisse où l’on vient implorer la
fécondité, et parfois, au détour du chemin, un tombeau bâti en pierres sèches,
orné d’herbes et de fleurs semées par le vent. Devant ses yeux défilaient les
bourgades et les maisonnettes, des gens inconnus et des animaux familiers,
oies, poulets aux longues pattes fuyant devant l’équipage ; des marchés
qui bornent la route et dont l’étalage est fait de petits paquets de chandelles
pendus par de longues mèches, de chapelets de piments et de régimes de bananes.
Le médecin lui disait de douces paroles, dans la langue rude des Vazahas
(Européens). Quand ils sont arrivés tous deux à la maison blanche, une religieuse
les a reçus, souriante et sereine…
Maintenant elle est seule
parmi les femmes horribles. Elle touche son fady (fétiche) qui conjurera le
sort funeste. Les femmes piaillent toutes ensemble ; elle leur répond et
les autres se taisent pour l’écouter. Des spectres aux faces ravagées tendent
l’oreille pour mieux entendre l’eau fraîche et vive de la voix jeune que la
douleur assourdira, puis emprisonnera ainsi que la glace prend l’eau.
(À suivre.)
Marguerite Augagneur.
Mercure de France
[1] Enfants.
L'intégrale en un livre numérique (un volume équivalant à 734 pages d'un ouvrage papier), disponible en deux endroits:
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