Lundi matin, 6 janvier, on apprenait que le chef du
chantier de la gare de Mahatsara sur l’Ivondro avait été assailli, la veille au
soir, par une bande de malfaiteurs et n’avait pu sortir de chez lui qu’au petit
jour pour appeler au secours les surveillants des chantiers voisins situés sur
l’autre rive de l’Ivondro ; les agresseurs avaient alors pris la fuite.
Les faits revêtaient une tournure très grave. On ne parlait
rien moins que de révolte ; les insurgés étaient des centaines.
Aussitôt prévenue, la police courut sur les lieux, dirigée
par l’administrateur chef du district, qui avait tenu à se rendre compte des
faits par lui-même.
Après une enquête sérieuse d’un jour et demi, rendu très
pénible par le mauvais temps, le chef du district put rétablir les faits dans
leur vérité. Ils avaient été considérablement grossis et surtout dénaturés.
Pour fêter la nouvelle année, les habitants des villages de
Mahatsara et des environs s’offrirent de la betsabetsa, sans laquelle il ne
saurait y avoir de fête pour les Malgaches, et gracieusement ils envoyèrent une
invitation aux ouvriers de la gare. Cela se passait le samedi soir.
Elle fut acceptée tout aussi gracieusement.
Quelquefois il arrive qu’un invité glisse par mégarde, dans
sa poche, la petite cuillère en vermeil qui lui a servi à remuer son café, et…
peut-être aussi la tasse. Mais il est plus rare qu’il emporte le café avec.
C’est cependant ce qui est arrivé à Mahatsara.
Quelques invités se montrèrent fort incorrects, car deux
d’entre eux s’éloignèrent emportant chacun une dame-jeanne de betsabetsa.
Dès que leurs hôtes s’en furent aperçus, ils coururent après
eux et infligèrent une leçon à ces malappris.
L’affaire ne devait pas en rester là.
Les ouvriers se mirent tous d’accord et la nuit suivante,
placés sur le remblai du chemin de fer, ils accueillirent à coups de cailloux
leurs hôtes de la veille, à mesure qu’ils passaient par là.
La bataille commença. On échangea quelques coups, mais
surtout beaucoup d’injures, et on cria si bien et si fort que le chef du
chantier voisin évalua à 300 le nombre de combattants. En outre, il crut que
ces injures et ces menaces s’adressaient à sa personne, ce qui lui fit passer
une fort mauvaise nuit.
Au petit jour, se glissant le long de la chaussée du chemin
de fer, il courut demander des secours aux chantiers voisins. Le renfort arriva
armé de bâtons et de révolvers et la bataille recommença près du pont de Mahatsara.
Les vazahas venus au secours disent avoir été assaillis à
coups de cailloux. Pourtant on n’a retrouvé à l’endroit où ils se tenaient que
quelques pierres, alors que les agresseurs en avaient un grand tas sous la
main. Ceux-ci ont reçu des coups de bâton, et l’un d’eux a une cuisse traversée
de part en part. Ses camarades affirment que l’un des vazahas lui a tiré un
coup de révolver à bout portant. Les vazahas de leur côté affirment que le coup
a été tiré en l’air.
La blessure remontant à trois jours, le médecin n’a pu se
prononcer sur sa nature.
En somme rien de sérieux. Beaucoup de cris et une simple
bagarre dans laquelle la betsabetsa est la principale coupable.
C’est tout de même une drôle de façon de commencer l’année.
Reporter.
Le Tamatave
Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Janvier 1913.
L'ouvrage est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).
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