Le Bagdad, arrivé avant-hier, nous apporte des
détails sur la tournée aussi émouvante que pénible, effectuée par M. le
gouverneur général à travers les provinces sinistrées, avec un dévouement
au-dessus de tout éloge. Les populations ont été profondément sensibles aux
marques de bienveillante sollicitude qu’il leur a témoignées, sollicitude qui
s’est traduite d’une façon pratique et tangible, par des secours pécuniaires
directs, et aussi par l’ouverture de crédits importants pour les travaux
urgents, et des réparations aux bâtiments publics.
Mais laissons la
parole à notre confrère le Diégo-Suarez,
qui, acteur en même temps que spectateur, est mieux qualifié que nous pour raconter
ce qui s’est passé.
Sans bruits de fanfares ni cliquetis d’armes, sans fla-fla,
le gouverneur général s’est embarqué samedi à midi sur l’aviso Vaucluse. M. Picquié partait à
Nossi-Bé, cette belle île si fertile que le maudit cyclone n’épargna pas non
plus. Il va apporter aux habitants éprouvés quelques adoucissements et les
réconforter par des paroles qui stimulent, portent à lever la tête, poussent
vers le travail, bien plus que ne le feraient des larmes plus ou moins
sincères.
De Nossi-Bé, le gouverneur général ira à Ambilobe qui fut
très éprouvé et, croyons-nous, à Ankify dont les domaines furent très rudement
atteints, vers le Sambirano.
Puis, il reviendra à Diégo, d’où il repartira, après un
court séjour, pour retourner à Tananarive.
On nous dit qu’il aurait projeté de visiter quelques points
de la Côte Est. Nous apprendrions la confirmation de cette nouvelle avec
plaisir, car nous avons pris à cœur de rappeler souvent combien cette région
mérite qu’on s’intéresse à elle.
Durant les quelques jours que M. Picquié a passés au
milieu de nous, il a pu être exactement renseigné sur l’importance des
désastres qu’a causés l’ouragan du 24 novembre. De nombreuses photographies
lui furent remises, des rapports dignes de foi lui ont été faits. Il y avait –
il y a encore – de nombreux et édifiants témoignages des tas de ruines que
présentait Diégo, un mois avant son arrivée ici, c’est-à-dire lorsque le
terrible météore s’éloigna pour continuer son œuvre de dévastation.
Il a pu voir les lourds bâtiments militaires, solidement
assis cependant, ceux-là, démolis et se faire une idée de ce que devaient être
les pauvres constructions coloniales des malheureux habitants. Il a pu voir,
dans les environs, ce que les éléments en furie avaient fait d’arbres énormes
qui furent tordus, déchiquetés, abattus, et se faire par conséquent une idée
exacte de la facilité avec laquelle furent dévorées les plantations de nature
bien plus frêle.
Il a pu voir les rizières décharnées, des villages anéantis
à jamais, entraînés par des torrents impétueux qui, hélas ! firent des
victimes humaines dont plus de cent cadavres, en un seul village, Antetezana,
sont aujourd’hui sur un mamelon où les survivants établirent un cimetière
inauguré et rempli en un jour.
Et peut-on croire que M. Picquié a été insensible en
présence de tous ces faits ?… Ce serait ne pas le connaître. Serait-ce
parce que, lorsqu’il s’est entretenu avec les personnes qui ont désiré le voir,
il n’aurait pas employé des paroles larmoyantes et pris un air invariablement
mélancolique, que certains prétendent qu’il est resté indifférent en présence
de nos doléances ?…
Et voyons, chers lecteurs, ne vaut-il pas mieux, venant du
chef de la Colonie, des paroles énergiques sans brutalité, des paroles
paternelles sans faiblesse que des jérémiades ?…
Le gouverneur général connaît la population de Diégo. Il
n’ignore pas qu’il s’y trouve des colons travailleurs et courageux que
l’adversité elle-même n’anéantit pas. Il sait quel remède doit efficacement
soulager nos malheurs du moment. Il sait qu’il faut nous donner les moyens
d’utiliser nos capacités et notre activité. Ce remède c’est le travail et il
nous le procurera.
Ce n’est pas à la charité que nous devons faire appel ;
c’est à nos bras et à notre tête. M. Picquié dont nous connaissons bien la
clairvoyance, la loyauté et la bonté, utilisera ces moyens et nous relèverons
notre vieux Diégo.
Certes, des événements comme celui qui vient de nous
frapper, ne sont pas faits pour nous mettre de la joie au cœur ; mais
songeons que nous sommes des coloniaux !
Des coloniaux ! C’est-à-dire une sélection déjà. Nous
avons généralement bonne santé – un
coffre solide. Nous avons de la tête aussi et de la volonté.
Ces coloniaux ! C’est-à-dire des pionniers qui nous
trouvons sur un champ de bataille, où tout n’est pas rose, c’est bien vrai :
mais où, à tout prendre, on n’est pas dans un bagne. L’on y trouve bien du
mauvais temps, mais l’on y peut employer assez utilement ses moyens et l’on y
rencontre, à côté de la simplicité, des amitiés sincères qui réconfortent et
adoucissent les mauvais moments.
Ces choses-là, M. Picquié, qui ne fut pas un colonial
en chambre, ne les ignore pas. Il sait comment il faut remonter les hommes qui
viennent de subir un mauvais coup, quand ces hommes sont des coloniaux vrais.
Soyons bien sûrs qu’il fera pour nous ce que nous méritons
qu’il soit fait.
K. Gyre.
Le Tamatave
Extrait de Madagascar il y a 100 ans. Janvier 1913.
L'ouvrage est disponible :
en version papier (123 pages, 10 € + frais de port)
en version epub (4,99 €).
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